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L'humeur des Atréides
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Cannes 2012 - Holy Motors, de Léos Carax

Cannes 2012 - Holy Motors, de Léos Carax

A la fin des années 90, le jeu vidéo The Nomad Soul marqua considérablement les esprits. L’âme du joueur était alors propulsée dans un monde futuriste où l’on naviguait de corps en corps, s’immisçant dans d’autres vies que la notre, s’incarnant ici et là au gré des rencontres dont une, formidable, avec un David Bowie dématérialisé. C’est d’ailleurs  accompagné de son Modern Love, repris dans une scène culte de Mauvais Sang, que Léos Carrax et son équipe descendirent les marches après de longues minutes d’ovation ; et une cigarette allumée dans la grande salle du Palais Lumière.

L’âme nomade c’est un peu le principe d’Holy Motors à la différence près qu’elle ne s’incarne que dans un seul corps, certes protéiformes, celui de Denis Lavant. « 11 X Denis Lavant » pourra-t-on lire dans le générique de fin, témoignant bien de la prouesse du comédien se déguisant sans cesse à bord de cette limousine blanche qui, de Cronenberg à Carax, aura été la muse du festival. Cette âme nous est présentée comme étant celle de M. Oscar, employé par une mystérieuse compagnie pour répondre aux désirs étranges de clients, humains ou non. A chaque rendez-vous correspond donc un nouveau personnage et un nouveau sketch. Et si M. Oscar travaille tant c’est qu’à sa manière il est le meilleur pour jouer les rôles qu’on lui assigne, s’usant pour « la beauté du geste » sans autre but qu’être dans l’action ; la création.

Evidemment passer une journée avec M. Oscar c’est faire le point avec Leos Carax, grande chimère bienveillante qui tire les ficelles de ces jeux du cirque. Il ne s’en cache pas. C’est lui-même qui ouvre le film, décelant dans un mur une porte cachée dont il est le seul à avoir la clef. Derrière, une salle de cinéma et son public. Un enfant avance nu vers l’écran. Carax, en la matière, n’a rien à cacher. Il se livre dans toute la vérité de sa nature, sans amertume, sans fatigue. Malgré les péripéties, l’envie est toujours là, elle est la seule qui compte. Le cinéma prime. En cela l’énergie de Holy Motors n’est pas très éloignée de celle de Go Go Tales, intégrant leurs propres politiques de réflexion et de création sur le cinéma. Cinéaste un temps déifié, un temps conspué, Carax revient pour la même raison que clamait Ferrara : the show must go on.

Et le show avec lui est souvent drôle, de cet humour qui manque tellement aux jeunes pouces d’un cinéma américain affligeant de suffisance. De cet humour qui désamorce le symbolisme et le sérieux des différents sketchs, tous envisagés comme des hommages aux genres cinématographiques (comédie musicale, thriller, drame etc.). Une séquence jubilatoire voit même le retour de M. Merde ce personnage inventé pour le film Tokyo ! en 2008. Un clin d’œil parmi d’autres à sa propre filmographie et à sa vie qui ne vire jamais au nombrilisme. En dépit d’une rare ambition, Holy Motors est le film le plus modeste du festival.

Attention tout de même à ne pas se faire avoir par cette bulle cannoise, la projection du film a été événement durablement marquant qui ne doit pas virer au seul exercice d’admiration. Forcément inégal, dans une frontière tenue entre une naïveté embarrassante et un concentré de pure émotion, Holy Motors nous perd parfois pour mieux nous reconquérir.  Cela tient à cette stimulation permanente, cette volonté de ne pas baisser les bras face au cinéma facile et complaisant. On parlait de Ferrara tout à l’heure, Carax partage avec lui ce cinéma des cinéastes qui comptent ; ce cinéma intègre.