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L'humeur des Atréides
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Vincere, de Marco Bellocchio

Vincere, de Marco Bellocchio

« Audacia ! Audacia ! » ou l’audace d’une guerre, lisait-on sur les tracts belliqueux d’une Italie en marche militaire vers le fascisme. « Audacia ! Audacia ! » en surimpression sur les images d’archives, intelligemment intégrées dans cette œuvre opératique d’un Bellocchio, pour le coup, très audacieux. Et quand bien même ce Vincere est un vaincre (1) qui n’est pas forcément synonyme d’une victoire totale et cinématographique, l’œuvre symbolise comme aucune autre le retour en grâce du cinéma italien.   

Vincere c’est tout d’abord vaincre ses fantômes - « fantasma » en italien - fantômes du fascisme mais plus encore, fantasme d’une image entêtante d’un amant, Mussolini, sur sa maîtresse, Ilda Dalser. Dès lors, fantômes et fantasmes se confondent dans l’opéra tragique de cette amante aimante, mère d’un fils, « Benitino », conçu, reconnu puis désavoué par son père, le Duce. Alors jamais en la mémoire d’Ilda, Mussolini n’apparaîtra avec son vrai visage, celui des images d’archives, mais avec le visage de l’acteur Filippo Timi (excellent), visage de son fantasme amoureux devenu par la suite, son fantôme. Le combat d’Ilda est celui de la reconnaissance tant pour son fils que pour elle-même, seule face aux chemises noires des fascistes et aux chemises blanches des hôpitaux psychiatriques. Ce combat était perdu d’avance, et ce dès le premier baiser où le jeune Mussolini alors militant socialiste, blessé et traqué, se cache en ses lèvres pour mieux s’enfuir, ne lui laissant que du sang sur les mains. 

 

Cependant résumer Vincere au simple combat d’une mère dans la tourmente de l’Histoire serait beaucoup trop simpliste ; l’ambition est autre, à la fois historique, intime, universelle et tellement cinématographique. C’est l’ambition d’une forme qui mêle le théâtre, l’opéra, le document et la représentation du cinéma au sein même du film pour recomposer une vérité autre, et supérieure, à la vérité de l’Histoire. Là encore, comme Tarantino dans son magnifique Inglourious Basterds, Marco Bellochio va invoquer et utiliser la représentation du cinéma dans son film pour attester d’un parallèle, d’un dualisme et même d’un combat avec l’Histoire. Tarantino tuait Hitler en embrasant une salle de cinéma sous le regard vengeur de Mélanie Laurent et affirmait par là même, que l’Histoire, c’est l’histoire du cinéma (cf. Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino ) Marco Bellocchio sans aller aussi loin, utilise le cinéma au sein de son film tant comme outil historique que comme paradigme de réalités qui se confrontent. Assise dans la salle de cinéma, Ilda Dalser regarde ce Mussolini devenu Duce, qui n’est pas le sien. Elle regarde son image par l’image, croyant que celle qu’on lui projette n’est pas la réalité. Sa réalité est celle de l’homme qu’elle a connu qui n’était pourtant, on le sait grâce à l’Histoire, qu’une image, qu’un fantasme. Chez Ilda, les images sont inversées et contrairement à la Shosana Dreyfus de Tarantino elle ne triomphera pas de l’Histoire. Force est de reconnaître qu’une fois de plus le festival de Cannes a décelé dans sa sélection officielle une nouvelle tendance (2). Tendance remarquable et remarquablement mise en lumière par Emmanuel Burdeau qu’il qualifie de « fait du cinéma » (3) soit « un nouveau moment autoréférenciel » par lequel « la vérité de l’image s’affirme dorénavant au moyen d’une auto-invocation du cinéma » à l’intérieur même du film. On pense alors à cette formidable scène dans laquelle, dans une salle de cinéma, les parties s’opposent politiquement en chantant, tel un opéra de la grande tradition italienne. Ici, le cinéma assimile même l’opéra et s’affirme comme l’art de synthèse par excellence.

 

Pour autant, nous le disions plus haut, ce Vincere n’est pas une victoire totale. Si son ambition, son intention et sa profondeur en font un film remarquable, son entreprise ne tient pas sur toute la durée du long-métrage, obligeant par moments le spectateur à l’ennui. Ces longueurs indéniables sont dues à une partie plus classique et répétitive autour du thème de l’hôpital psychiatrique, autre grand fantôme de l’histoire italienne (4). Le réalisateur ne semble pas être allé jusqu’au bout de sa logique, magnifiquement insolente, de mélange des genres, des formes et des arts se reposant alors trop sur ses acteurs (convaincante Giovanna Mezzogiorno). Heureusement que la fin ravive ce charivari énergique, furieux et désespéré. Là, Vincere ce n’est plus seulement vaincre, c’est déjà une victoire.


(1) Vincere veut dire « vaincre » en italien

(2) Vincere était sélectionné en compétition officielle cette année

(3) Emmanuel Burdeau, "Le fait du cinéma", revue Traffic n°71 automne 2009 page 5.

(4) On pense notamment, sur ce même sujet, à Nos Meilleures Années réalisé par Marco Tullio Giordana en 2003