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L'humeur des Atréides
L'humeur des Atréides
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El Jodo

El Jodo

Théâtre de la Croisette, un orateur inattendu se fait appeler : Nicolas Winding Refn présente Alejandro Jodorowsky au public, non sans une profonde admiration dépassant le cadre convenu des politesses en vigueur à Cannes. Tonnerre d’applaudissements d’un public affamé. Le monstre sacré le rejoint alors et remercie son « fils spirituel », accompagné de ses véritables fils. « Jodo » nous explique brièvement que cette autobiographie familiale fut initialement un projet laissé dans le plus grand secret et que si l’amour de son auteur lui est acquis, son avenir est incertain tel un jeune enfant.

La scène d’ouverture met immédiatement en scène Jodorowsky en conteur sage, livrant un guide du bon usage de l’argent. Celui-ci y prône une vision de partage en tant que condition de réalisation du bonheur. Apparaît alors jeune Jodorowsky, trop sensible pour un père trop dur, trop exigeant, trop castrateur. La brutale figure paternelle fait subir maintes épreuves pour tester le mérite du petit  Alejandro à être son fils, l’apogée étant de le forcer à subir une intervention dentaire sans anesthésie.

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Si « la danse de la réalité » semble à ce moment-ci focalisée sur le personnage de l’enfant fragile brimé par la figure paternelle, le centre de gravité du film se déplace vers le père. Alors que par un élan d’ego celui-ci décide d’aller apporter de l’eau à un camp de pestiférés, il se voit contaminé et presque exécuté sauvé in extremis par la foi de sa femme, laquelle urine saintement sur son mari pour le guérir. Dès lors, le miraculé part  effectuer le voyage d’une rédemption (à son insu évidemment), voyage qui le conduira pèle mêle à sauver son pire ennemi, être chien, paralysé, torturé, humilié pour finalement renaître en fin de film. Cette renaissance couronne un parcours où le bourreau se retrouve martyr, notamment de ses idoles et de lui-même. Elle est également un retour à lui-même autant intérieurement que géographiquement puisque son voyage est l’accomplissement d’une boucle qui le fera retourner au village initial. La clôture de ce cycle l’amène finalement à la transcendance de ses figures divines dont il se fait le déicide, le tout dans un spectacle incandescent. Ce meurtre est destruction et libération, matérialisée notamment par un changement vestimentaire et un départ vers un ailleurs mystérieux et prometteur de félicité.

En cela, si le film témoigne d’un voyage à la recherche de la réalité, avec ses faux-fuyants, ses leurres et son insaisissabilité, il est bien évidemment initiatique car il montre la vérité comme prix de la douleur. De nombreux thèmes sont évoqués lors du cheminement du film dont il serait fastidieux de dresser une liste même si certains tiennent une place plus prééminente, telle la foi.

Sur un plan plus esthétique, certains choix passant pour immédiatement grotesques se muent au fur et à mesure du film pour que l'absurde cède place à des scènes de grande grâce. Telle la mère, dont le seul mode d’expression est le chant lyrique, lequel donne une dimension grandiose à la scène où elle et le garçonnet sont intégralement peints de noir au clair de lune, dans un moment de confusion charnelle primitive. Si dans la salle, ces moments d’humour ont été l’occasion parfois malvenue d’entendre des rires un peu trop francs, l’émotion sincère et désarmante du film a vite su faire taire les plus rieurs pour imposer une esthétique entre absurde et sensibilité fine. Cette ambivalence ne nuit par ailleurs certainement pas au film, tant l’enchaînement des séquences se fait avec force et cohérence. Cela permet plutôt à la trame de ne pas se retrouver atomisée entre diverses scénettes cocasses tel que le passage à tabac des soldats fascistes ou encore la bagarre fasse à un groupe de mutilés.

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Alejandro Jodorowski signe là un film possédant certes une part autobiographique mais prend assez de distance vis-à-vis des codes pour en faire une œuvre grandiose où le protagoniste principal est mis en situation de souffrance morale et physique insupportable, jusqu’au point de rupture où celui-ci redécouvre sa réalité et par là-même la paix.