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L'humeur des Atréides
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The Tree of life, de Terrence Malick (tribune libre)

The Tree of life, de Terrence Malick (tribune libre)

Dans JLG/JLG, Godard disait « Je suis une légende ». GODARD. Tout le monde connaît, personne n'a vu ses films. Malick aussi est une légende – pas la même s'il fallait préciser. MALICK. Tout le monde connaît, tout le monde a vu – encore que, on dira que je n'ai rien vu à The Tree of Life, rien. Les uns ont donc dit qu'il n'y avait rien (rien que des effets, rien que des fragments, pas d'histoire), les autres ont dit « il y a Tout » (cinéma magistral et majuscule, le Tout Début, la Toute Fin, cinéma qui dépasse, surpasse). Rien à voir, Tout à voir. Tout à croire. Les deux occurrences s'opposent comme elle se rejoignent alors – et encore dans le cas précis du film concerné. La légende fait le Mythe. On dira que, dans le monde fantastique et fantasmagorique du cinéma, Malick en est un. Réalisateur attendu, prenant Tout son Temps pour réaliser ses œuvres, et réalisateur Très discret (Mystérieux, d'autres disent Mystique, c'est selon). C'est dire si le réalisateur jouis d'une aura qui déjà dépasse cadre et écran. Le Mythe est aussi le récit fondateur, celui qui explique le monde (cosmogonie, phénomènes naturels, sociologie, anthropologie...). Ce récit là est tout en bas, tout en haut, tout au centre de The Tree of Life. 

Au commencement, il y eu MALICK. Le monde du cinéma savait que ce jour viendrait : celui d'un nouveau film du Maître ; et tandis que les toiles blanches attendaient, toutes frémissantes, que sa lumière vienne, les commentaires de milliers d'internautes, impatients de se muer en spectateurs, s'accrochaient dans les hyperliens de la grande Web. Genèse d'une éclosion d'un regard quittant la chrysalide internet pour la blancheur immaculée de l'écran de cinéma. La prophétie était annoncée, tout le monde du cinéma en parlait. Puis il y eu les premiers signes, venus d'en bas. Les milliers de surfeurs virent les premières vagues d'images dériver. Tout surfeur attend la vague, il ne vivote que pour ça (pour vivre, il y a tout le reste). Cette vague là, était attendue, obligatoirement attendue, par impatience comme par prudence. Mieux valait y être préparé. Cette vague là est en effet immense – la rumeur le dit ! Tous les cinq ans, elle arrive. C'est un événement. Elle est très haute et ceux qui parviennent à être portés à son sommet disent qu'ils ont pu toucher la grâce. Ils racontent qu'elle est aussi belle que la caresse des herbes hautes dans le creux d'une main, qu'un rayon de soleil aimant tout ce qu'il embrasse. Ceux qui ont été portés racontent ça aux autres, restés en bas, quittant benoîtement leur fauteuil de spectateur. Ils n'ont pas été portés par la Majestueuse vague, celle-ci s'est abattu sur eux, lourdement. Ce spectateur s'est fait roulé par la vague, projeté – mais en arrière – et ne garde qu'un goût amer de la déferlante, mouillé sans les larmes, la bouche parfois écumeuse, prête à mordre. Dans les deux cas, de toute manière, la vague est passée et il n'en reste pas grande matière, pas grande chair. Une vague ordinaire charrie coquillages et algues, celle-ci va charrier quelques termes (tous aussi beaux que des coquillages par ailleurs) : Grâce, Beauté, Pureté, Vide, Ennui. C'est ce que nous disent les textes de tous ces internautes/spectateurs revenus de leur free-ride. Les craintifs n'ont rien dit de plus sur le film – malgré tous leurs efforts – que ce qu'ils avaient bien pu dire au sujet de sa bande-annonce. La vague d'eau bénite a touché les convertis comme prévu. Les impatients ont pardonné l'attente inhumaine qu'on leur a infligé. Nous savons tout ça, que trop bien d'ailleurs. Si bien qu'on ne sait rien. Putain, qu'elle est cette sacrée vague ?

The Tree of Life est le cinquième film de Terrence Malick et raconte, aux travers des générations, des âges, l'épreuve qu'une famille américaine affronte suite à la mort de l'un des fils. Disons le abruptement : de la mort triomphera la (re)naissance du monde sous nos yeux, mais surtout celle d'un regard – le regard de l'enfant - pour qu'enfin le Temps soit conjugué dans sa plus belle forme, utopie réalisée, pur présent ; que présent. Brad Pitt incarne un père de famille sévère, trop juste, incarne un personnage voulant lui-même incarner une Figure paternelle stricte, respectée car assimilée. Ce père regrettera d'avoir incarné plus qu'il n'a été réellement. Il regrette son manque de chair, de corps. Ses fils ne l'aimaient pas beaucoup, il le sait bien, le leur a dit mais définitivement trop tard. Ce père a souhaité élever ses fils « à la dure », discipline, devoirs, corvées et coups. Cette éducation à la dure a ses conséquences sur la transmission. Pitt n'aura transmis à ses fils qu'une éducation. C'est à la fois beaucoup et ce n'est que ça. Les trois fils souffrent d'une carence de tendresse. L'un d'eux (incarné adulte par Sean Penn) en est le digne et piteux représentant : personnage bien timoré. Ce fils est aujourd'hui dans un élégant et austère costume noir, travaillant dans un palais des glaces dans lequel il glisse d’ascenseurs en ascenseurs.

On ne sait plus très bien ce qui l'a ratatiné comme cela : la vie moderne (ses buildings immenses, ses automations) ou son éducation d'antan (les principes et leur respect, l'ordre qui en incombe). Jadis il courait, gambadait, ruait. Courses pour s'éloigner du père, à la conquête de nouveaux territoires (émerveillement toujours renouvelé de l'enfant pour les jardins et terrains environnants sa maison) et courses de reconquête du foyer familial (cette scène où, le père étant absent, les enfants se mettent à courir furieusement dans la maison). Aujourd'hui, et sous nos yeux ébahis, le fils quitte son palais de verre et marche à nouveau, mais marche pour retrouver les siens – dont le père. D'hier à aujourd'hui, le fils a peu changé, il est resté l'enfant. Toutes ses courses, ses marches mènent à un même endroit, celui d'un espace libéré pour son imagination. S'il y aurait pu y avoir ici une belle ouverture de regard, tout est malheureusement rétréci par l'image choisie par Malick. Tandis que le cinéaste restait en dehors des espaces imaginés par les enfants, glissant tout autour, doucement (herbes, arbres, feuilles), il donne à celui de Sean Penn une forme, une image, un symbole : celui d'une plage infinie.

La plage et ses vagues, images dérivant du passé, s'échouant sur le sable, cette poussière redevenue poussière. L'image est grande, trop. Elle recouvre tout comme elle disperse. C'est une image repeuplée, une soudaine abondance de corps, de chair qui vient remplir le cadre comme s'il était devenu container plutôt qu'infini. Ce n'est certainement pas une parade, et sûrement pas une maladresse (nous parlons d'un film de MALICK). C'est en réalité une laideur certaine, celle d'un film qui remplit un regard d'enfant par la volonté suprême – fusse t-elle mystique, philosophique, que sais-je ? – d'un adulte. Impossible alors de se contenter d'un « dommage » convenu tant cette fin – qui en est vraiment une, une bonne fois pour toute – se révèle en réalité terrible, coinçant la chronique familiale entre deux Immensités (naissance du monde < > plage). Le cœur du film, l'histoire vraie de cette famille, se fait bulle, parenthèse, petitesse entre deux phases Grandioses. La carence de tendresse contamine le film. À trop vouloir caresser avec sa caméra l'herbe, l'écorce, les feuilles, l'eau, Malick fait un film faisant peu de cas de la peau (l'image finale est un affreux spectre, une histoire pour recouvrir un mensonge, celle des 4400 disparus qui reviennent peut-être, un vrai divertissement en tout cas). Abandonner la chair, faire mine de la retrouver, et symboliser la paix de l'âme retrouvée par l'outrance d'une image : la plage comme lieu où la mémoire éclot comme une fleure, comme une galaxie. Cette éclosion était perceptible de par les rayons de lumière qui pénétraient le film de toutes part (avant ce final irradié). Il y a bien de la lumière partout dans The Tree of Life, mais en réalité, la Grande ouverture, et la Grande fermeture ombragent tout le récit familial. La lumière ne pénètre rien, elle est piégée dans chacun des trois fragments (un totem, une bulle, un totem) qui composent le film. Malick charge la lumière de lier son film, de le tisser (un rayon : une ficelle) pour constituer une ossature, sinon un matelas, une toile pour le projeter lui-même dessus, preuve s'il en faut, que ce film-cannibale a bel et bien dévoré toutes les chairs.

Reste la lumière. Elle est partout, illumine tout. Quand Malick filme la nuit, ce sont les lucioles qui nous le disent à nouveau, et sa caméra est attirée par la lumière comme un petit insecte volant l'est d'ordinaire (quand la famille le soir, rentre chez elle, la caméra papillonne vers les lampadaires de la maison). Lumière magique, originelle. La vie qui irradie tout un monde décharné. Ce cinéma là éclaire quelque chose d'assez sordide au fond , est un cinéma plus effrayant qu'apaisant. Dans le grand cycle de la vie, Malick attend certainement que le tour des humains – des adultes seulement mais cette partition est impossible – vienne. S'il ne l'attend pas, il s'y attend, comme une grande vague, l’événement ultime venu de tout là-haut. Quand l'univers aura mis fin à cette ère de l'humain (en voie de cristallisation, de plexiglassation), Malick ne sera plus là pour nous montrer le plus important. Un humain, plongeant ses yeux dans son corps ouvert béant sur sa chair. Un dinosaure. Une image de synthèse après tout et pour d'autres que nous qui sommes ici-bas.

Simon Lefebvre
Blog "Notre Cinéma" - http://notrecinema.blogg.org/