Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'humeur des Atréides
L'humeur des Atréides
Menu
Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, d’Apichatpong Weerasethakul

Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, d’Apichatpong Weerasethakul

« Bonsoir, je voudrais une place pour « Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures » d’Apichatpong Weerasethakul. »

D'ores et déjà, entraînez-vous à prononcer cette phrase à haute voix et vous vous rendrez compte que par sa longueur, sa tonalité, vous entrez dans un jeu, une fantaisie, un monde. Ce titre ludique, presque burlesque, mais si exquis sous la langue, a le mérite de poser les règles du jeu : vous allez voir un film dans lequel un homme se souvient de ses vies passées. Saurez-vous les percevoir ? Combien sont-elles et dans quel ordre ?

Au fond, plus de trois mois après avoir eu le privilège d’assister à la projection officielle, à Cannes, de cette magnifique palme d’or, nos réponses restent indécises. Le film nous travaille encore, tel un fantôme bienveillant qui nous guide, à sa guise, dans l’univers du cinéaste thaïlandais. Alors ce n’est plus seulement ce vieil oncle Boonmee qui se souvient de ses vies antérieures, mais aussi le spectateur qui en découvre de nouvelles partageant là, avec lui, comme un destin commun.

Donner à voir et à penser un monde. Le cinéma de Weerasethakul œuvre pour cette conception, revendiquée comme primitive, du septième art. Primitive, c’est d’ailleurs le nom de la dernière exposition de l’artiste qui avait eu lieu au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Oncle Boonmee en est le prolongement, avec la même ambition de nous faire basculer dans un système cinématographique régi par ses propres règles, son propre rythme, son propre temps.

Ainsi, il faut remonter aux origines du cinéma pour réaffirmer sa puissance. De la même manière, il faut descendre dans une source et suivre le cours de l’eau, pour se remémorer une vie de dieu poisson, de vache sacrée, de princesse ou encore de singe-fantôme. Peu nous importe leurs ordres ou leurs nombres, les vies de Boonmee ouvrent de nouveaux horizons.

Ce qui sidère dans le film, outre sa grande beauté plastique, tient au décalage constant entre sa puissance évocatrice et la simplicité des moyens pour la mettre en œuvre. Il suffit d’une apparition, lors d’un repas, pour qu’une douce cosmogonie s’enclenche.

Des yeux rouges surgissent dans le noir de la jungle thaïlandaise, celle où jadis le cinéaste nous avait baladés dans son TROPICAL MALADY. Seulement, avec des thématiques similaires, ONCLE BOONME est son film le plus explicite, comme si la monstration ne lui faisait plus peur. Celle d’un folklore populaire, de la croyance animiste et d’une militarisation d’un pays plus que jamais instable.

http://images.allocine.fr/r_760_x/medias/nmedia/18/77/72/45/19422469.jpg

Sur certains points même, le cinéma de Weerasethakul peut faire penser à celui de Miyazaki. Mise en parallèle qui nous semble intéressante, pour deux magiciens, qui jouent sur le « réenchantement » du monde. Mais celui du Weerasethakul paraît plus sombre et lointain. La magie s’accompagne toujours de la maladie et,  à l’approche de la mort, le temps lui-même  s’abstrait là où, chez le maître japonais, tout s’accélère, tout s’enivre dans une énergie vitale grisante. Non, notre oncle Boonmee n’est pas l’oncle de Nausicaä. Mais ces deux grands noms du cinéma mondial sont deux purs créateurs, de la race des démiurges discrets, si rares de nos jours. 

L’oncle se meurt et pourtant l’eau coule encore de son corps malade. Il quitte ses vies antérieures pour une autre vie, postérieure, en espérant que dans sa nouvelle existence il se souviendra, à nouveau, d’avoir été entre autres Boonmee, propriétaire apicole et figure d’un film important.