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L'humeur des Atréides
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Retour sur Drive, de Nicholas Winding Refn

Retour sur Drive, de Nicholas Winding Refn

On ne voit que lui. Ryan Gosling, celui qui conduit. Pourtant il ne dit rien. Et quand la parole doit surgir comme une intruse dans la solitude du silence, cela ne ce fera jamais sans décalage. Le temps que le son fasse son chemin jusqu’à sortir de cette gueule impassible, capable de figer un sourire comme de figer un homme. Le silence est d’or, la parole est d’argent surtout quand elle n’est que mise en garde. Pourtant, il y avait bien ce type dans un bar qui essaya d’entamer la conversation, comme deux vieux potes qui se retrouvent, mais celui qui conduit le menaça de lui exploser les dents s’il ne la fermait pas sur le champ.

Et  l’ennui c’est qu’à la manière de Sentenza qui finit toujours le travail pour lequel on le paie, le driver lui fait toujours ce qu’il dit.

Après tout à quoi bon s’exprimer quand le monde qui l’entoure parle pour lui. L’univers de Drive est un vaste décor de cinéma dans le cinéma lui-même. Tout n’est que textures et textiles. Du latex des masques de cinéma qu’il use dans ses cascades, au cuir tanné de ses gants de conduite, de la taule luisante des voitures rutilantes, aux files dorés du scorpion qui orne le dos de sa veste satinée. Tout n’est que textiles et textures, de couleurs et de sons, si clinquants et mémorables.

 Nicholas Winding Refn n’a pas eu peur de la candeur d’une ballade lyrique et abstraite dans l’imagerie d’un certain cinéma américain ; glissant tantôt dans la nuit « Mannienne » éclairée par hélicoptère et tâchée du fushia d’un générique très eighties ;  tantôt en pleine virée romantique, tout capot dehors, le long de la Los Angeles River que Dany Zuko et Sandy Olsson arpentaient déjà dans Grease. Sans parler de la violence qu’elle égrène, si « cronenbergienne » quant il s’agit d’écraser jusqu’à l’effacement la tête d’un malfrat, si « tarantinienne » quand elle se mêle au burlesque de la mafia locale. 

Visite guidée donc en territoire hollywoodien où les spectres de cinéma rejouent leurs scènes ; sans cesse. Et pourtant Drive ne tient pas du syncrétisme cinéphile, trouvant sa force dans une étrange cohérence tenue par le mutisme de celui qui conduit. Lui, ne se sait pas encore fantôme de cinéma, seul vivant, croit-il, parmi cette cohorte de personnages. Une scène remarquable en témoigne. Armé d’un marteau, il se rend dans les loges scintillantes d’un cabaret où les filles aux seins nues se fardent plus que de raison. Là, dans une lumière onirique, au milieu d’elles, le driver massacre la main de leur patron à l’aide de son outil. Chez les filles, aucune panique. Au contraire, statiques elles contemplent le spectacle, aux premières loges d’une scène dont le driver est l’acteur principal. Spectatrices comme nous d’un héros de cinéma qui s’ignore. 

 Et toute la thématique de Drive tient dans ce jeu des masques, entre être un humain et être un héros. Dichotomie insoluble nous dit le cinéaste Danois.

 La rencontre avec Irène ne sera qu’un leurre. Le driver, n’avait-il pas compris que dès le départ les dés étaient truqués enfilant au jour le jour une panoplie avec laquelle il peut tout faire, travailler et tuer, aimer et conduire. Un costume sans lequel il ne peut exister et qui du reste, ne changera jamais, en dépit du sang séché qui s’agglutine à mesure que la violence de la fiction le ramène à sa dure condition.  Drive est la tragédie d’un superhéros en quête d’humanité.

Ce n’est pas sans rappeler un autre film du début des années 80, à première vue pourtant très éloigné, Blade Runner de Rydley Scott, dont les répliquants ne demandaient qu’à vivre, à quitter le post-humain pour l’humain. Les deux films partagent cette aura esthétique et sonore, cette faculté de faire de chaque détail un objet de désir et de style. Drive est tout à la fois : une garde robe, une playlist, une icône – Ryan Gosling – et en France tout du moins un événement culturel. Outre Atlantique le film n’a pas connu le même succès et aura le droit à un procès. Une spectatrice a déposé plainte contre le distributeur pour tromperie, pensant voir un succédané de Fast and Furious. Son Americain Dream a été bafoué, vieille croyance d’antan pour Refn, qui compose avec ce film le musée élégant d’un rêve déchu. Drive est un film violent pour les américains qui croient encore à leurs héros.

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